La paille des céréales, on la laisse ou on la sort du champ?​​​​

​​Yvan Faucher et Stéphanie Mathieu, agronomes, conseillers en grandes cultures, Direction régionale de la Montérégie du MAPAQ

Cette question revient souvent. La réponse peut paraître évidente pour plusieurs, mais, comme vous vous en doutez sûrement, la réponse n'est pas tranchée au couteau et comporte des subtilités à prendre en considération dans la prise de décision.

Pour un producteur qui utilise la paille comme litière pour ses animaux, la question ne se pose pas, car la céréale est cultivée à deux fins : pour le grain et pour la litière. La paille récoltée sera éventuellement retournée au sol puisqu'elle deviendra une composante des déjections animales. Jusqu'ici, pas de grandes révélations!

Cependant, pour un producteur n'ayant pas d'animaux, la question se pose : je la retourne au champ comme amendement pour mon sol ou je la sors de mon système afin d'en tirer un revenu substantiel?
Pour y répondre, il faut se pencher sur la véritable valeur de la paille. On pourrait dire qu'il existe en réalité trois valeurs à la paille :

  1. ​La valeur commerciale
  2. La valeur en éléments nutritifs
  3. La valeur liée au carbone















La valeur commerciale

C'est la valeur qui provient de l'offre et de la demande. Elle varie beaucoup d'une région à l'autre et d'une année à l'autre. Lorsqu'on pense à une bonne année de céréales, l'offre est plus abondante et le prix est affecté à la baisse. En 2022, le prix de la paille prise au champ en Montérégie oscillait entre 120 et 160 $ la tonne métrique (tm). Pour un rendement de 3 tonnes l'hectare (t/ha) de paille, le revenu variait donc de 360 à 480 $/ha. Il va sans dire que pour les céréales d'automne, les rendements en paille et en grain sont souvent plus élevés que pour les céréales de printemps.

La valeur en éléments nutritifs

La paille contient divers éléments nutritifs tels que l'azote (N), le phosphore (P2O5), la potasse (K2O), le soufre (S) et bien d'autres. La valeur de ces éléments nutritifs est calculée en fonction de la valeur des engrais minéraux que la paille contient. Ainsi, comme le présente le tableau 1, une tonne de paille (avec une teneur en matière sèche [MS] de 100 %) possède une valeur d'environ 64 $ en éléments nutritifs.
Il faut toutefois faire attention à ne pas la confondre avec la valeur fertilisante, car, comme dans le cas des fumiers et des lisiers, il faut tenir compte de la disponibilité des éléments. Vous remarquerez dans le tableau que la potasse est l'élément que l'on retrouve en plus grande quantité dans la paille, avec 16,2 kg/tm de paille (100 % MS). La potasse peut être retournée au sol très rapidement et profiter aux autres cultures de la rotation.


​Tableau 1. Valeur pécuniaire (en dollars) des éléments nutritifs de la paille

Éléments nutritifs kg d'éléments fertilisants/tm de paille (100 % MS) $/kg d'engrais* $/tm de paille (100 % MS) $/ha (3 tm de paille à 90 % MS)
N7,82,9923,3262,97
P2O52,92,176,2916,99
K2O16,21,9731,9186,17
S1,22,162,597,00
Total 64,11 $/tm 173,13 $/ha

​Source : Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec, Fertilisants et amendements – Prix – Avril 2023, AGDEX 540/855.


La valeur liée au carbone

​On retrouve environ 45 % de carbone dans la biomasse des plantes, y compris dans la paille. Le carbone est le principal constituant de la matière organique des sols. On connaît l'importance de la matière organique des sols à l'égard de leur fertilité, de leur résilience et de leur productivité. Ainsi, le carbone de la paille a une valeur. Mais comment la chiffrer? Cette mission est quasi impossible en raison de toutes les interactions possibles des paramètres qui entrent en jeu dans la dynamique des sols. Une chose est certaine, la paille possède une valeur pécuniaire plus élevée que la valeur de ses éléments nutritifs.

​Éléments à considérer dans la prise de décision 

  1. ​Quand on retire la paille d'un champ, on retire une fraction de la partie aérienne du plant. Une grande partie de la biomasse demeure au champ, que ce soient les feuilles, les glumes, le chaume ou, de manière plus importante, les racines. Fait à noter : des études démontrent que le carbone provenant des racines des plantes contribue cinq fois plus à l'accumulation durable du carbone dans le sol que les résidus de la partie aérienne.
  2. Le choix de vendre ou de garder la paille dans votre système agricole dépend du système en question. Il faut conserver une cohérence dans le système pour s'assurer de préserver la matière organique, la structure du sol et l'activité biologique. Par exemple, si vous souhaitez améliorer les conditions de votre sol en conservant de la biomasse (paille), mais que vous négligez votre structure de sol en effectuant des passages répétés de machineries trop lourdes qui créent de la compaction, il n'y aura pas d'amélioration.
  3. Le revenu provenant de la paille peut être un incitatif non négligeable menant à la décision d'inclure une céréale dans la rotation. Si vendre la paille vous apporte la rentabilité souhaitée, vendez-là. Vous découvrirez que la culture de céréales procurera à votre entreprise plusieurs avantages, tant économiques qu'agronomiques. L'aspect le plus important à considérer est que l'ajout d'une céréale dans la rotation augmente souvent le rendement de toutes les cultures de la rotation, selon le type de rotation de culture que vous avez.
  4. Si la paille est laissée au champ, doit-on ajouter de l'azote pour la décomposer? La paille possède un rapport carbone/azote de 80 à 100. Ce rapport est très élevé et les microorganismes doivent utiliser l'azote du sol (et de la paille) pour décomposer les résidus. À court terme, il y aura une immobilisation de l'azote du sol. En revanche, à moyen ou à long terme, cet azote sera de nouveau disponible aux plantes grâce à la minéralisation. Si vous n'utilisez pas de fertilisant (organique ou minéral) à la suite de la récolte de céréales et que vous semez une culture de couverture exigeante en azote, il y aura une compétition pour l'azote entre les résidus de paille en décomposition et la culture de couverture. Une légumineuse est donc recommandée comme culture de couverture dans ces conditions.
  5. Si vous laissez la paille au champ, il est important de bien la gérer. Les résidus doivent être bien hachés et répartis. Il faut aussi éviter que la paille crée une barrière isolante au sol pour l'année suivante. Il est également possible qu'un léger travail du sol soit nécessaire. Selon la littérature, un semis de trèfle intercalaire dans le blé permettrait une décomposition plus rapide de la paille.​

​Approche raisonnée de la gestion de la paille

Voici un tableau résumé pouvant vous aider dans votre prise de décision :

Exportation possible Exportation non souhaitée
  • Application d'amendements organiques
  • Rotation avec des cultures laissant des résidus au sol et ayant un bon système racinaire (ex. : prairie, maïs-grain)
  • Culture de couverture avec une bonne biomasse
  • Sol plutôt argileux avec un taux de potassium élevé
  • Prix de vente adéquat
  • Pas d'amendements dans la rotation
  • Sol léger et faible en potassium
  • Sol déstructuré
  • Prix de vente faible


Pour une entreprise agricole qui possède des sols plutôt argileux avec un taux de potassium élevé, qui a accès à des amendements organiques tels que des fumiers ou des lisiers, des matières résiduelles fertilisantes ou du compost, ou qui insère des cultures de couverture dans sa rotation, l'impact du retrait de la paille du système une fois tous les trois ou quatre ans est minime.

Pour conclure, chaque entreprise doit prendre des décisions éclairées pour assurer sa rentabilité et sa pérennité. Insérer une céréale dans la rotation, particulièrement une céréale d'automne, apportera beaucoup à son sol et à son système de culture. Contrairement à la croyance populaire, faire des céréales rentables, c'est possible.​


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Dernière mise à jour : 2023-06-20

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