​Un projet scientifique d'envergure sur la durabilité des grandes cultures

Jean-François Guay, Ph.D, Science de l’environnement
Conseiller en aménagement du territoire
MAPAQ Chaudière-Appalaches

Louis Pérusse, agr., M.Sc.
SCV Agrologie

Gilles Tremblay, agr., M.Sc.
MAPAQ Montérégie

La communauté scientifique se questionne depuis quelques années sur la réelle profitabilité des systèmes de culture d’espèces résistantes au glyphosate. Aussi, s’avère-t-il désormais légitime d’évaluer et de comparer les rendements de systèmes alternatifs. Or, pour favoriser le succès de ces approches, la profitabilité de ces dernières doit être démontrée certes afin d’attirer la faveur des producteurs concernés, mais aussi à la lumière d’un ensemble de facteurs de nature environnementale, sociétale, technique et économique. C’est sur cette idée que s’est amorcé, en septembre 2017, un important projet de recherche regroupant plusieurs chercheurs universitaires et institutionnels venant de divers horizons disciplinaires, sous l’égide de la Chaire de recherche sur la Transition vers la durabilité des grandes cultures de l’Université du Québec à Montréal en collaboration avec le MAPAQ.

Contexte

Dans les 28 pays où les cultures résistantes au glyphosate sont autorisées, nombreux sont les agriculteurs qui ont adopté ces dernières. La facilité et la flexibilité de l’utilisation des herbicides à base de glyphosate (HBG) et de leur efficacité à tuer les mauvaises herbes et leur faible coût relatif constituent des avantages certains. Ainsi, au Québec en 2016, près d’un million d’hectares (ha) ont été cultivés soit 419 000 ha pour le maïs et 325 000 ha pour le soya. Ces cultures résistantes au glyphosate représentent respectivement 84 % et 65 % de la production de maïs et de soja dans la province et cette tendance serait en légère augmentation.

Or, plusieurs préoccupations ont été soulevées au sujet de l’utilisation massive du glyphosate dans les activités agricoles. Notons principalement l’apparition de mauvaises herbes résistantes dont 17 espèces et 5 espèces nouvellement documentées en 2017, respectivement aux États-Unis et au Canada. Cette liste pourrait augmenter considérant que l’efficacité des HBG semble décliner sous des conditions d’élévation des concentrations de CO2 atmosphérique. Les producteurs de grandes cultures en sont maintenant contraints à utiliser plusieurs herbicides au lieu d’un seul afin de contourner cette stratégie d’adaptations de la nature.

Il est à noter également que le glyphosate est dégradé en de nombreux composés, dont le plus connu est l’AMPA. Lorsque présents dans les sols, le glyphosate et l’AMPA peuvent réduire considérablement la viabilité des spores de champignons mycorhiziens. En retour, ces modifications dans la composition microbienne peuvent affecter la biodisponibilité des nutriments dans le cycle du carbone du sol, ce qui influe sur la séquestration du carbone ou la nodulation de mycorhizes essentielle pour la résistance physiologique des plantes au stress. L’altération de la diversité microbienne du sol peut également prédisposer les plantes à de nombreux champignons pathogènes du sol. Par ailleurs, il a été démontré que l’altération de la physiologie du soya affecte leur capacité à retenir l’eau.

Objectifs du projet

Le projet MYFROG (Maintaining high yields in Québec field crops while reconsidering the option of using glyphosate) vise deux grands objectifs :

  1. Un objectif ​à court terme visant à établir un portrait global des impacts de systèmes culturaux utilisant différents taux d’épandage de HBG sur les processus pédologiques clés et la qualité de l’eau.
  2. Un objectif à plus long terme visant à promouvoir l’adoption de systèmes culturaux favorisant de hauts rendements, la réduction appréciable de l’utilisation des HGB et l’accroissement des avantages globaux pour le développement et le maintien des services écosystémiques.

Ces objectifs sont assortis d’objectifs spécifiques dont la pluralité explique la nécessité d’une équipe interdisciplinaire. Ces objectifs beaucoup plus spécialisés sont au nombre de sept :

  1. Déterminer les tendances d’accumulation de glyphosate et de l’AMPA dans les sols agricoles.
  2. Effectuer la traçabilité des concentrations de glyphosate et d’AMPA dans les eaux de percolation dans le sol au cours de la saison de croissance et évaluer le transfert de ces composés dans les cours d’eau dans la région agricole à l’étude.
  3. Évaluer les impacts du glyphosate et de l’AMPA sur les fonctions du sol (rétention des nutriments et recyclage, formation d’agrégats, prévention de la compaction, séquestration de carbone et rétention eau).
  4. Caractériser les collectivités microbiennes et micro-fauniques des sols et les voies de dégradation correspondantes du glyphosate et de l’AMPA.
  5. Qualifier puis quantifier les avantages agronomiques, techniques, sociaux et environnementaux spécifiques du système de semis direct sur couverture végétale permanente (SCV) mis en œuvre dans des parcelles expérimentales par SCV Agrologie au sein de deux zones climatiques du Québec soit la Chaudière-Appalaches et la Montérégie.
  6. Développer un modèle dynamique permettant de prévoir la rentabilité à moyen terme et la soutenabilité à long terme de systèmes culturaux utilisant différents taux d’application des HGB.
  7. Définir les conditions d’adoption à large échelle de systèmes culturaux durables par les producteurs et identifier les scénarios gagnants en regard des critères agronomiques, techniques, sociaux et environnementaux.

Un élément-clé : les systèmes SCV

L’agriculture écologique intensive des sols et les systèmes de semis direct sur couverture végétale permanente (ou SCV) sont proposés en solution aux modes conventionnels de gestion mécano-chimique des sols depuis près de 10 ans aux agriculteurs du Québec par SCV Agrologie. Ces systèmes permettent de substituer graduellement les intrants chimiques et les outils mécaniques par des outils biologiques intégrés. Ils reposent sur trois principes : (1) l’absence de tout travail du sol; (2) le maintien d’une couverture végétale permanente du sol associant des espèces dédiées à la production de biomasse et des résidus de récolte; (3) la constitution d’une large biodiversité d’espèces cultivées en rotation, association et successions culturales.

Ce système établit un microenvironnement pour la plante. Il favorise la colonisation racinaire maximale des sols et l’accentuation de fonctions agronomiques importantes. Il permet ainsi d’assurer une meilleure expression du potentiel de résistance aux bio-agresseurs et une augmentation de la productivité de la plante. Du coup, les services écosystémiques maintenus par l’utilisation constante des plantes de couverture permettent à court, moyen et long terme, d’assurer une réduction de l’utilisation des engrais minéraux par une plus grande fertilité des sols, de même qu’une réduction des pesticides par la combinaison de différentes stratégies phytosanitaires.

Sous la rubrique des services écosystémiques, la couverture permanente des sols permet en outre d’élargir la bande riveraine à l’échelle du champ et de limiter de manière plus efficace les impacts négatifs des processus d’érosion des sols, et d’améliorer la qualité des eaux en milieux agricoles.

Enfin, les techniques de semis direct et de semis à la volée, combinées à une rotation diversifiée, permettent une plus grande efficience des travaux et une meilleure répartition des opérations au champ. Elles améliorent ainsi la qualité de vie des agriculteurs le tout, dans un système de production réellement durable.

L’interdisciplinarité : la force du projet

L’interdisciplinarité est sans doute ce qui fait la grande force de ce projet. Ce fut d’ailleurs un des plus importants critères exigés par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, l’organisme subventionnaire de ce projet qui a obtenu, rappelons-le, un financement de près de 660 000 $ pour une durée de trois ans. Cette approche implique un travail en équipe regroupant des spécialistes de disciplines différentes (agronomie, économie, sociologie, écologie, géographie). L’interdisciplinarité est rendue nécessaire par la complexité de la question qui est abordée considérant qu’il y a de nombreuses composantes écologiques, environnementales, sociétales, techniques, économiques devant être adressées afin d’en arriver à un modèle qui reflète bien la réalité. Par le biais des échanges fréquents et de transferts de connaissances réciproques entre les membres de l’équipe de recherche, ceux du MAPAQ, du CEROM, de l’IRDA, de SCV Agrologie, des chercheurs canadiens et étrangers, et surtout des producteurs de grandes cultures participants, il sera possible de réunir dans une entreprise de synthèse chacune de ces « lectures » du problème, en un modèle environnemental, social et économique cohérent et durable de rentabilité des grandes cultures.

Texte intégral : journal Gestion et technologie agricoles (GTA), 19 juillet 2018

 
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Dernière mise à jour : 2020-02-05

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