Claudia Grenier, agronome, conseillère en grandes cultures biologiques
Direction régionale de la Montérégie, secteur Ouest
Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation
M. Michel Vandersmissen est propriétaire d’une entreprise agricole depuis 18 ans. Il exploite un total de 232 hectares. Au printemps 2018, il a fait le grand saut et a consacré 150 hectares de ses terres à la culture biologique. L’année prochaine, il ajoutera 40 hectares de culture biologique. Dans l’entretien qui suit, M. Vandersmissen rend compte de son expérience personnelle relativement à cette première année de « transition bio ».
L’auteure remercie M. Vandersmissen pour son temps et sa grande générosité.
Entretien avec M. Michel Vandersmissen, producteur de grandes cultures
Pourquoi se convertir au biologique?
« À côté de l’un de mes champs, ce sont des producteurs bio très expérimentés qui cultivaient et je trouvais ça intéressant. J’ai vu les chiffres, alors, bien évidemment, j’ai été tenté. L’idée me trottait dans la tête et je cultivais déjà un peu de façon raisonnée. Selon moi, la rentabilité de la production de blé biologique est comparable à celle du maïs conventionnel. Avoir un plus grand choix de cultures rentables à commercialiser était très intéressant et je me lassais de faire seulement du maïs et du soya. Je crois que la culture biologique permet aux plus petites entreprises d’augmenter leur rentabilité, sans nécessairement augmenter leur superficie de production, et, en plus, cela convient mieux aux fermes de 100 hectares, étant donné la charge de travail plus importante. Par contre, ce n’est pas que des chiffres, le bio. Ce n’est pas une recette miracle. »
Quelles sont les étapes que vous avez franchies avant d’entamer cette transition?
« Avant de se lancer dans le bio, il faut que l’entreprise soit en bonne santé financière. Il faut que l’entreprise ait beaucoup de liquidités, car les deux années de conversion sont longues à traverser. Il ne faut pas se lancer dans le bio pour redresser la santé financière de l’entreprise. Si c’est le cas, on se dirige vers un précipice. Il y a beaucoup d’insécurité durant la transition; on ne sait pas trop à quoi s’attendre comme récolte. C’est se lancer dans l’inconnu!
J’ai aussi participé à beaucoup de journées d’information organisées par le CETAB+, le MAPAQ et La Financière agricole du Québec. J’ai aussi posé beaucoup de questions à mes voisins, les frères Dewavrin, mais rien de tel que de faire ses propres erreurs, on apprend plus vite! »
Vous allez bientôt amorcer votre deuxième année de conversion. Quelles ont été vos plus grandes difficultés?
« L’année avait super bien commencé, mais je n’ai pas fait la chose la plus importante : l’observation. J’avais la théorie, mais il faut savoir l’appliquer et l’adapter et agir au besoin. C’est le côté pratique qui m’a manqué. La grosse erreur que j’ai faite est de semer trop tôt dans mes terres loam-sablonneuses. La mauvaise herbe, je ne l’ai pas regardée. Il aurait fallu attendre que la mauvaise herbe germe plus. Les « vrais bio », c’est comme les amoureux de la nature, ils observent beaucoup de choses. Les faux semis ne fonctionnaient pas, parce que la terre n’était pas assez chaude et qu’il n’y a pas eu assez de pluie. Le 15 mai, il est tombé de la pluie, ce qui a déclenché la pousse des mauvaises herbes. C’est correct, mais, au même moment, je commençais les semis, alors qu’il aurait fallu que je débute mon deuxième passage de faux semis. L’année prochaine, avant le 25 mai, je serai plus patient. Mais c’est dur d’être patient quand tout le monde autour de toi travaille! C’est de la sagesse, que ça prend. Il faut attendre, sinon c’est juste un problème que l’on remet à plus tard. Il faut se dire : si je veux travailler moins cet été, il faut que je sois plus patient ce printemps. »
Photo : Éric Labonté, MAPAQ
Quel a été votre plus grand accomplissement?
« C'est avec un champ de pois de conserverie qui a été semé plus tard, le 10 de juin, que j’ai compris bien des affaires. Pour ce champ, j’ai attendu, j’ai passé un coup de vibroculteur et c’est devenu vert, il n’y avait que du chénopode! Alors là, tu détruis tout, tu es content, parce que tu ne passes pas pour rien! Après ça, le contrôle des mauvaises herbes était plus facile. En fait, j’ai l’impression que 60 % de l’émergence des mauvaises herbes a lieu vers la fin mai. Alors, je peux dire que, pour ce champ, le contrôle des mauvaises herbes a été une réussite et c’était une fierté. Le champ était beau, jusqu’à la sécheresse. »
Quels sont vos objectifs de production pour l’année prochaine et, si c’était à refaire, qu’est-ce que vous feriez différemment?
« Je vais faire des céréales pour diminuer ma charge de travail, car il y a beaucoup moins de sarclage à faire. Le blé talle rapidement, couvre le sol hâtivement, brisant ainsi le cycle de certaines mauvaises herbes. J’aimerais aussi avoir un stagiaire afin de me dégager du travail. Ça fait beaucoup de travail avec l’entretien des équipements et je ne peux pas tout faire.
J’avais l’impression l’année passée d’en avoir trop sur les épaules. Je ne faisais pas assez d’observation. La grosse partie du travail, c’est d’observer, marcher dans les champs, et non de suivre un protocole préétabli. L’année dernière, je ne me suis pas concentré à la bonne place. En bio, ce n’est pas l’entre-rang le problème, c’est le rang! C’est les deux pouces de chaque côté de la plante et j’aurais dû regarder ça plus attentivement. Je n’ai pas assez porté attention aux profondeurs des semis, je sème toujours un peu trop creux. Dans certains champs, après cinq jours, j’avais 60 % du soya qui était levé et le restant était encore en terre. Là, ça part en catastrophe; tu ne peux pas passer le peigne, sinon tu arraches les petits. Donc, tu perds trois ou quatre jours à attendre, mais la mauvaise herbe, elle, elle part! La levée, c’est super important : il faut avoir une levée égale pour passer le peigne le plus rapidement possible. Aussi, j’ai appris à faire la différence entre la théorie et la pratique. Dans les livres sur le bio, il n’est pas recommandé de passer le peigne dans les stades cotylédons. Mais, en pratique, il faut faire des essais. »
Comme bien d’autres producteurs qui ont fait la transition vers le biologique, M. Vandersmissen soutient que la transition doit se planifier. Les terres doivent être en bonne condition, soit bien drainées et bien nivelées – des investissements qui sont souvent oubliés. La transition vers le biologique implique également l’achat de nouveaux équipements. Il est important de se préparer et il ne faut pas attendre à la dernière minute. M. Vandersmissen a déposé des demandes d’aide financière pour l’achat d’équipements de désherbage mécanique. Notons que le MAPAQ a mis sur pied différents programmes d’aide financière à l’intention des producteurs agricoles.
Ce qu’on retient des propos de M. Vandersmissen, c’est que la transition vers le biologique entraîne énormément de changements. Cette décision ne peut pas uniquement reposer sur le coût de production. Il faut y mettre du temps, faire preuve de persévérance et, surtout, de résilience. C’est difficile de regarder ses champs dont le contrôle des mauvaises herbes est un échec et ne pouvoir rien n’y faire. La conversion requiert aussi beaucoup de patience de la part du producteur. Même s’il aurait aimé en apprendre moins la première année, M. Vandersmissen a tout de même convenu qu’il valait mieux apprendre au début, pour mieux performer après.
Texte intégral : journal Gestion et technologie agricoles (GTA), 6 juin 2019