Gilles Tremblay, agronome
Direction régionale de la Montérégie, secteur Est
Ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation
Léon-Étienne Parent, agronome
Professeur émérite
Université Laval
Vraisemblablement, les sols auraient peu ou pas contribué à l'augmentation des rendements de maïs-grain observée au Québec entre 1997 et 2017. En effet, selon l'Institut de la statistique du Québec, la hausse des rendements a été de 165 kilogrammes par hectare (kg/ha) annuellement durant cette période. Cette croissance serait liée pour une grande part aux progrès de nature génétique et, dans une moindre part, à la gestion des cultures.
Dans ce dernier texte d'une série de cinq, nous allons nous pencher sur des pratiques culturales susceptibles d'améliorer la contribution du sol aux rendements de maïs-grain dans le contexte d'une fertilisation azotée de cette culture. Rappelons que les essais que nous évoquerons ont été réalisés sous la supervision de M. Gilles Tremblay lorsqu'il travaillait au CEROM (Centre de recherche sur les grains). Tous les essais ont été effectués avec la collaboration de conseillers agricoles du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation ou de conseillers de clubs-conseils en agroenvironnement.
Les rotations de cultures
En agriculture, la rotation des cultures est un principe fondamental et constitue un élément essentiel du développement durable. Elle favorise généralement les rendements de grain. La rotation de cultures permet aussi d'améliorer l'efficacité de l'utilisation de l'azote (N) par les plantes tout au long du cycle. Prenons un exemple concret pour illustrer notre propos. Une expérience portant sur la rotation de cultures a été lancée en 2008 sur les terres du CEROM situées à Belœil, sur un sol de loam argileux à argile lourde de la série Saint-Urbain. L'expérience visait, entre autres choses, à comparer l'effet d'une rotation de trois ans du type maïs-soya-blé avec une culture continue de maïs-grain. En 2017, à la suite de trois cycles complets de la rotation, les rendements de maïs-grain ont été évalués à l'égard de deux rotations. Les doses annuelles d'azote minéral fournies au maïs-grain étaient de 170 kg N/ha.
Les rendements moyens du maïs-grain dans une rotation maïs-soya-blé ont varié de 12 764 à 13 959 kg/ha, comparativement à des rendements de 10 806 à 11 186 kg/ha pour la culture continue de maïs. Les rendements ont été supérieurs de plus de deux tonnes pour chaque hectare soumis à la rotation par rapport aux rendements de la culture continue de maïs-grain, soit des rendements pour une rotation de trois ans qui sont près de 22 % plus importants en comparaison de la culture continue. Les résultats d'autres études sur le même sujet ont mis en évidence des augmentations de rendements variant de 10 à 20 % en faveur des rotations. Bien sûr, les écarts observés peuvent varier selon le type de sol ou l'année. Mais, quelles sont les conclusions pour ce qui est de l'azote? Chaque tonne de maïs-grain obtenue a exigé en moyenne 12,7 kg d'azote dans la culture en rotation par rapport à 15,5 kg d'azote pour la culture continue de maïs. Ainsi, chaque tonne de maïs-grain produite dans la culture continue a exigé 20 % plus d'azote que celle qu'on a obtenue dans la culture en rotation.
Les cultures en dérobée
Les rotations accroissent la biodiversité. Chaque espèce végétale a ses propres façons de coloniser le sol et d'interagir avec les différents organismes vivant dans le sol. Plus il y a d'espèces végétales différentes dans une culture principale, intercalaire ou dérobée, plus il y aura de possibilités de développer et de mettre à profit le potentiel des sols agricoles.
Prenons comme exemple le cas d'un blé de printemps récolté au mois d'août 2016 sur un sol en Montérégie. Après le blé, plusieurs espèces ont été ensemencées à la dérobée : vesce de Cahaba, trèfle incarnat, trèfle d'Alexandrie, pois autrichien et radis fourrager. On a conservé des parcelles avec le blé comme précédent, sans semis de culture dérobée. En 2017, différentes doses d'azote ont été établies sur ces précédents culturaux pour évaluer leurs répercussions sur le rendement de maïs-grain. Des doses économiques optimales ont été déterminées à l'égard de chacune des cultures en fixant le prix du maïs à 200 $ la tonne et le coût de l'azote à 1,10 $ l'unité. Aussi, pour alléger l'analyse, nous n'allons retenir que trois modèles : du blé seul, du blé suivi de trèfle incarnat et du blé suivi de trèfle d'Alexandrie.
Pour le blé seul, la dose économique optimale du maïs-grain a été estimée à 200 kg N/ha pour un rendement de 13,7 t/ha. Pour le blé suivi du trèfle incarnat à la dérobée, la dose économique optimale a été établie à 146 kg N/ha et correspond à un rendement de 15 t/ha. Enfin, pour le blé suivi du trèfle d'Alexandrie, le rendement optimal a été fixé à 100 kg N/ha et le rendement observé a été de 15,2 t/ha. Ainsi, comme on peut le constater, ce sont tous d'excellents rendements en maïs-grain. L'utilisation d'une culture dérobée a permis d'augmenter les rendements tout en diminuant les doses économiques optimales d'azote. Le modèle ne comportant pas de culture dérobée a exigé 14,6 kg N pour chaque tonne de grains produite, comparativement à 9,7 et 6,6 kg N par tonne dans les modèles intégrant le trèfle incarnat et le trèfle d'Alexandrie. L'intégration d'une culture dérobée après la récolte du blé a donc permis de réduire les besoins en azote du maïs-grain de 50 à 100 kg N/ha. Les besoins mesurés en kilogrammes d'azote par tonne ont été réduits de 30 à 50 % par rapport aux besoins calculés pour le blé seul.
Les sols sont des systèmes vivants, complexes et diversifiés. Une multitude d'espèces végétales peuvent être intégrées dans les cultures intercalaires ou dérobées dans les modèles traditionnels des grandes cultures. L'ajout de cultures intercalaires ou dérobées dans les méthodes ou pratiques agricoles pourrait améliorer la fertilité générale des sols et la gestion de l'azote.
Texte intégral : journal Gestion et technologie agricoles (GTA), 24 octobre 2019