L’agriculture de demain sera-t-elle bio ou traditionnelle?

Louis Robert, agronome, de la Direction régionale de la Montérégie-Est du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation​​​

C'est une question qui prend de plus en plus de place dans l'espace public, avec raison. L'agriculture, par sa finalité première qu'est l'alimentation de la population, concerne tout le monde et, ne serait-ce que pour les répercussions sociales qu'elle engendre (occupation du territoire, vitalité économique, impact environnemental, etc.) et les mesures de soutien que le public paie, ce dernier a son mot à dire dans les orientations gouvernementales en matière d'agriculture.

Bien que personne ne puisse dire avec certitude quelle direction prendra finalement l'agriculture québécoise, il est impératif que ses méthodes de production, ainsi que ses produits, s'accordent davantage avec les aspirations des citoyens consommateurs. Pour ce faire, il faut donner au grand public l'occasion de s'exprimer et l'écouter.

Dans tout débat, des opinions divergentes sont exprimées et certaines surprennent sans doute plus que d'autres, dans le contexte des connaissances actuelles. C'est le cas, récemment, de M. Serge-Étienne Parent1. Cet ingénieur écologue veut nous mettre en garde contre la montée de l'agriculture biologique et locale, un choix de société qui semble rassembler une majorité de ses concitoyens, mais qui, à son avis, mènerait tout droit dans une impasse.

Le bio produit moins d'aliments par unité de surface (rendements moindres). De ce fait, il exige l'accaparement de beaucoup plus de superficie pour produire les aliments et, conséquemment, il augmente les dommages environnementaux. M. Parent propose comme solution de rechange l'« intensification écologique de l'agriculture industrielle ». Cela dit, le texte de M. Parent donne toute la place aux énoncés subjectifs par rapport aux faits scientifiques; dans ce contexte, l'opinion de M. Parent ne vaut pas plus que la mienne ou la vôtre, en tant que citoyen. On a tendance parfois à accorder de facto aux professeurs d'université et aux autres détenteurs de doctorat un capital de crédibilité. Quand il est question de choix de société aussi complexes, il vaut mieux définir son propre point de vue, de préférence en se basant sur des faits et des synthèses de résultats scientifiques.

Il est indéniable, par exemple, que le rendement en maïs obtenu présentement dans les fermes biologiques est en moyenne inférieur au rendement de maïs issu des cultures traditionnelles. Cependant, il est hasardeux de conclure à une productivité supérieure du traditionnel. D'abord, les méthodes culturales bio en sont encore à l'étape du développement et du perfectionnement, de la même façon que les entreprises bio le sont elles-mêmes souvent. Celles-ci n'ont pas atteint leur vitesse de croisière, alors que les exploitations agricoles traditionnelles sont bien établies, depuis des décennies. Ensuite, les efforts de recherche ont jusqu'à présent favorisé largement le modèle industriel traditionnel. Pour reprendre l'exemple du maïs, jusqu'aux années 2014-2015, il n'y avait pas de différence marquée ou stable entre les hybrides GM (génétiquement modifiés) et traditionnels en matière de rendement2. Les hybrides GM se sont distingués de plus en plus ces dernières années. Les sommes investies dans le développement d'hybrides GM résistants à des pesticides ou à des insectes n'ont rien à voir avec celles qui ont été investies pour le développement d'hybrides non GM, de sorte que l'avantage est nettement du côté des premiers. Malgré cela, on observe dans les fermes bio bien établies une augmentation impressionnante du rendement de maïs, au point où certains producteurs rapportent des récoltes de près de 10 tonnes par hectare, soit un rendement très comparable à celui des cultures traditionnelles pour la zone et la saison. Dans la culture de soya, il n'y a pratiquement pas de différence encore aujourd'hui entre le rendement moyen des OGM (organismes génétiquement modifiés) et celui des traditionnels​3​​. Dans le cas du maïs comme dans celui du soya, la rentabilité du bio n'a rien à envier à celle qu'enregistraient ces entreprises quand elles étaient traditionnelles, bien au contraire.

Bref, pour ce qui est de l'argument de la productivité (rendement par unité de surface), nous avons toutes les raisons de croire que le bio peut relever le défi. Une des conditions, cependant, est que l'on parvienne à réduire la dépendance au travail du sol, par exemple pour le contrôle des mauvaises herbes. Le travail du sol (labour, hersage, etc.) au moyen de tracteurs aussi puissants et lourds que dans la culture traditionnelle, parfois même plus fréquent, non seulement cause des émissions importantes de gaz à effet de serre, mais endommage aussi la structure du sol. Il n'est pas rare d'observer des couches de sol et de sous-sol extrêmement compacts dans des champs bio, ce qui limite leur productivité à long terme.

La production bio a des aspects à améliorer et nous avons tous les outils pour y arriver, ou tout au moins des pistes de solution. On avance à grands pas actuellement grâce à de nouvelles méthodes peu coûteuses pour la maîtrise des mauvaises herbes, sans travail du sol, notamment par l'implantation de cultures de couverture adaptées à la rotation (seigle d'automne roulé en post-levée du soya, trèfle incarnat détruit par l'hiver, etc.), avec les cultures relais et des cultures principales compétitives. L'amélioration de la qualité du sol résultant de la réduction des passages de la machinerie conduira le bio à d'importants gains de productivité.

De l'autre côté, le traditionnel est confronté à des problèmes encore plus difficiles à résoudre, comme le développement de mauvaises herbes résistantes au glyphosate, la dégradation de la structure du sol et la dépendance aux pesticides. Avec eux aussi, des progrès ont été concrétisés au point où certaines entreprises sont qualifiées de traditionnelles seulement parce qu'elles ne sont pas certifiées bio. C'est le cas des avant-gardistes adeptes du semis direct permanent, cultivant plus de cinq espèces différentes et recourant à encore plus de cultures de couverture. Il y a là aussi du travail à faire, surtout pour réduire l'usage des pesticides (on a déjà réduit très considérablement les épandages d'engrais).

Ultimement, les deux modes de production vont se rejoindre. Ce sera donc un « bio amélioré » : on verra bientôt des entreprises qui auront augmenté leur productivité et leur rentabilité, tout en délaissant presque entièrement l'utilisation des engrais minéraux et des pesticides de synthèse et en ne procédant au travail du sol qu'à l'occasion. La difficulté principale reste d'éviter de bâtir de telles entreprises en empruntant le modèle industriel. En effet, il est difficile d'imaginer comment des entreprises certifiées bio uniquement sur la base du respect de normes minimales (aucuns engrais minéraux ni de pesticides) seraient plus durables ou souhaitables s'il s'agit d'immenses superficies de cultures spécialisées destinées à l'exportation, dépendantes d'équipement gigantesque incompatible avec la santé du sol et très éloignées de ce qu'attendent les consommateurs. En fait, la durabilité de l'écosystème agricole dépend aussi de sa biodiversité (contrôle des ennemis de culture), de la qualité et de la structure du sol (rendement et stabilité par rapport aux changements climatiques) et de l'occupation du territoire (prospérité des communautés). ​

Références

1. PARENT, Serge-Étienne. « L'agriculture locale et bio est-elle vraiment meilleure pour l'environnement », Le Soleil, 5 août 2020

1. TREMBLAY, Gilles. « Bilan sur les OGM : impacts sur les rendements », Agri-Réseau, 2017.

2. ABDI, Dalel. « Performance agronomique au champ de cultivars de canola et d'hybrides de maïs-grain non génétiquement modifiés », Agri-Réseau, 2018.​

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Dernière mise à jour : 2020-10-28

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