Par Stéphanie Mathieu, agronome, conseillère en grandes culture, Direction régionale de la Montérégie-Ouest, ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation
Les mauvaises herbes font partie intégrante des systèmes agricoles. Elles s'adaptent et elles varient en fonction des différents systèmes culturaux. Par exemple, les espèces de mauvaises herbes qui se trouvent en semis direct sont différentes de celles retrouvées en gestion conventionnelle.
Une approche basée sur plusieurs moyens de lutte, qui ne repose plus seulement sur les herbicides, permet de complexifier l'agroécosystème pour contrôler les mauvaises herbes. L'objectif est de leur rendre la tâche difficile pour éviter qu'elles complètent leur cycle vital.
Voici des éléments pouvant être mis en place :
Le dépistage des mauvaises herbes : la connaissance des espèces de mauvaises herbes présentes, leur pression ainsi que leur localisation dans vos champs sont essentielles pour prendre de bonnes décisions pour les contrôler. Le dépistage permet aussi de repérer rapidement les mauvaises herbes problématiques, comme celles résistantes aux herbicides, avant qu'elles ne prennent de l'ampleur. Le stade des mauvaises herbes est aussi important à connaître pour optimiser l'efficacité des produits et éviter d'avoir à les traiter de nouveau.
La rotation des cultures : la diversification des cultures permet de varier les groupes d'herbicides, l'espacement entre les rangs et les moments de récolte. Les céréales de printemps et d'automne sont des cultures à privilégier dans la rotation. Elles sont compétitives envers les mauvaises herbes, par exemple la morelle noire de l'est, qui croît mieux dans les conditions de production du soya. Elles offrent en plus une occasion d'implanter des cultures de couverture après la récolte.
Les cultures de couverture : leur implantation permet d'occuper le sol plutôt que de laisser le champ libre aux mauvaises herbes. La recherche a démontré que plus la biomasse des cultures de couverture est importante, meilleur est le contrôle des mauvaises herbes. Voilà pourquoi on privilégie de les semer le plus hâtivement possible après la récolte de la culture principale. Dans la rotation maïs-soya, une technique populaire du côté américain est d'implanter un seigle d'automne pendant ou tout de suite après la récolte du maïs et de le détruire par un brûlage en pré ou en post-levée dans le soya l'année suivante. Cette technique permet de contrôler la germination d'une proportion des mauvaises herbes grâce aux composés allélopathiques, des substances phytotoxiques, libérés par le seigle. Cette céréale d'automne peut aussi créer une barrière physique grâce à son imposante biomasse. Si vous tentez l'expérience, il est important de bien contrôler les paramètres comme le taux et la profondeur de semis du soya en fonction des possibilités de compétition pour l'eau et la lumière. L'humidité du sol sera aussi un facteur déterminant pour décider du moment de la destruction du seigle.
La biosécurité : il faut faire attention lorsque vous achetez de la nouvelle machinerie ou que vous importez de la paille ou des fumiers. Ils peuvent être une source de mauvaises herbes problématiques, telle que l'amarante tuberculée qui est résistante à plusieurs groupes d'herbicides. Par ailleurs, si vous avez des mauvaises herbes problématiques, nettoyez la machinerie et terminez avec les champs où elles sont présentes. Les batteuses peuvent répandre rapidement les mauvaises herbes sur le territoire; elles peuvent contenir jusqu'à 68 kg de débris dont, notamment, des graines de mauvaises herbes (voir en référence Harvest helpline: combine clean-out, North Central Agriculture and Natural Resource Academy).
La rotation des groupes d'herbicides : ne pas employer le même groupe d'herbicides année après année permet d'éviter le développement de la résistance des mauvaises herbes, ce qui a des conséquences sur le nombre de produits à utiliser et, évidemment, sur les coûts de désherbage. Par exemple, dans un même champ, le fait d'appliquer du
Pursuit (imazéthapyre) dans la culture du soya la première année et du
Élim (rimsulfuron) dans le maïs l'année suivante ne constitue pas une rotation des matières actives, puisque les deux produits font partie du même groupe d'action, soit le groupe 2, les inhibiteurs de l'acétolactate synthase (ALS).
Outre la résistance des mauvaises herbes, il est possible de créer un problème en utilisant le même produit année après année. On peut penser au galinsoga cilié qui a pris de l'ampleur dans les grandes cultures avec l'usage répété du glyphosate, un herbicide non résiduel. Puisque les semences du galinsoga n'ont pas de dormance, elles germent rapidement après être tombées au sol. La plante est donc en mesure de produire plusieurs générations par année.
La compilation des interventions dans un registre vous aidera à faire un bon suivi.
Les indices de risques de chacun des pesticides permettent aussi de comparer les risques pour la santé et l'environnement qu'ils présentent. On peut les obtenir avec l'outil calculateur du site Web de SAgE pesticides.
Les techniques liées à la qualité de la pulvérisation : l'utilisation des adjuvants, mentionnés sur l'étiquette de l'herbicide, peut aussi faire une différence sur leur efficacité. Ils permettent d'améliorer l'absorption du produit et parfois de diminuer la dérive. La calibration du pulvérisateur, de même que le choix des buses appropriées et l'ajustement de la pression sont aussi des facteurs déterminants.
La qualité de l'eau est aussi un élément important dans l'efficacité de certains produits comme le glyphosate. On recommande une eau propre, non turbide.
Les conditions liées à la météo telle que la température de l'air et la vitesse du vent sont à prendre en compte pour éviter les dérives, les inversions de température et une diminution de l'efficacité de certains produits.
Méthodes alternatives ou complémentaires aux herbicides : des traitements localisés d'herbicides permettent de diminuer l'usage des herbicides et les risques qui y sont associés. À ce sujet, la vidéo intitulée « Pulvérisateur modifié : l'agriculture de précision à sa plus simple expression selon M. Paul Caplette », accessible sur la chaîne YouTube du MAPAQ, vous inspirera!
Le contrôle mécanique : dans certaines conditions, le faux semis, le peigne et le sarclage peuvent diversifier le contrôle des mauvaises herbes. Toutefois, les conditions du sol, le choix des machineries, le stade de croissance des mauvaises herbes et de la culture doivent être propices à ces passages.
D'autres bonnes habitudes, comme la fauche des fossés, peuvent aussi être prises pour éviter la production de semences de mauvaises herbes annuelles.
En somme, on peut s'imaginer que les différentes pratiques culturales de votre ferme, permettant de diminuer la pression des mauvaises herbes, font le même travail à moyen terme que les différentes matières actives mises dans votre pulvérisateur.
Participez au Grand inventaire des mauvaises herbes!
Une belle occasion de faire le dépistage des mauvaises herbes présentes dans vos champs s'offre à vous : celle de participer au projet « Grand inventaire des mauvaises herbes dans les cultures du Québec ». Ce projet, mené par le Centre de recherche sur les grains (CÉROM) en collaboration avec le Laboratoire de diagnostic en phytoprotection du MAPAQ, vise à obtenir un portrait actuel de la dynamique des mauvaises herbes du Québec. Il vise aussi à évaluer les différents facteurs agronomiques affectant cette dynamique et à faire la comparaison avec le portrait obtenu dans les années 1980. L'inventaire débutera en 2021 dans la région de la Montérégie-Ouest. L'objectif est de dépister gratuitement 500 champs en gestions biologique et conventionnelle, toutes cultures confondues. Si vous souhaitez participer au projet ou avoir plus d'information, envoyez un courriel à l'adresse suivante :
inventaire@cerom.qc.ca.
Références
L'entretien et le réglage du pulvérisateur (gouv.qc.ca)
Choix des buses de pulvérisation en grandes cultures : (coordination-sc.org)
Classes de modes d'action des herbicides (gov.on.ca)
Webster, T.M., Scully B.T., Grey, T.L., Culpepper, A.S. 2013. Winter cover crops influence
Amaranthus palmeri establishment