Le paysage : état de la question

Le paysage, objet esthétique empreint d’expression et d’émotion pour les uns, système matériel chargé de flux et de structures pour les autres, revêt une importance fondamentale en regard des questions d’appartenance, d’identification et de perception qui sont sous-jacentes à la prise de décision en planification territoriale. Pourquoi s’en préoccuper? Voici quelques pistes de réflexion sur cette question fondamentale.

On en parle depuis plusieurs années dans les arcanes de la planification territoriale. Il peut être agricole, agroforestier ou urbain. Il est souvent apprécié, recherché, voire revalorisé. Le paysage est cette portion visible de notre environnement constituée de constructions humaines et de structures naturelles à partir desquelles s’établira un ensemble de relations entre un observateur et son environnement. Ces relations, souvent subjectives, s’élaborent en vertu d’une chaîne cognitive complexe mettant en jeu plusieurs processus propres à chacun d’entre nous : perception spatiale, mémoire, appartenance, affectivité, etc.

Le paysage est un incontournable en planification territoriale, du moins en principe. Après des années d’incubation en milieu académique, le concept est entré dans les pratiques de plusieurs spécialistes en aménagement du territoire et aujourd’hui, nombreux sont les projets de développement majeurs qui présentent un volet entier sur la protection des paysages. C’est généralement le cas avec l’implantation de parc éolien; on en a également discuté en large, parfois avec beaucoup d’emphase et d’émotion, lors des audiences publiques entourant le projet Rabaska il y a de cela quelques années.

Il s’avère relativement aisé pour le spécialiste de procéder à la caractérisation et à la qualification des paysages. La région de la Chaudière-Appalaches compte d’heureuses expériences qui ont contribué à acquérir une somme de connaissances précieuses sur les types de paysages qui y sont observés sur le degré d’appréciation que nous y accordons. Toutefois, il peut être beaucoup plus ardu de « quantifier » la valeur de ces paysages dans notre économie. En effet, les individus – vous et moi – génèrent ce que les économistes de l’environnement appellent des « externalités » en profitant d’un paysage. Il peut s’agir d’un apport particulier dont les marchés ne tiennent pas toujours compte, faute de pouvoir les mesurer adéquatement.

En effet, ce genre d’externalités est très complexe à mesurer en terme monétaire et au-delà de l’aspect éthique de la question, il devient parfois difficile pour le praticien de vendre l’idée du paysage lorsque les chiffres ne sont pas au rendez-vous. Certaines externalités toutefois, sont bien connues. Ainsi, un beau paysage présente un pouvoir attractif et par le fait même génère un achalandage touristique potentiellement mesurable. C’est le cas par exemple pour la région de Charlevoix.

D’autres externalités, par contre, sont beaucoup plus subtiles, par exemple : comment la qualité d’un paysage agit-elle sur la détente, l’harmonie sociale et sur la santé mentale des individus? Ce genre de question peut paraître quelque peu ésotérique, mais elle n’en est pas moins pertinente puisqu’un paysage fait appel à tous nos sens. Dans ce genre de question, le recours d’experts en économie de l’environnement, en sociologie, voire en psychologie et en santé publique s’avère fortement suggéré afin de garantir la rigueur de la démarche et la crédibilité des valeurs estimées.

Toutefois, il ne s’agit là que d’un seul aspect de la question. Le terroir agricole, les noyaux villageois, les cantons agroforestiers constituent des paysages connus en Chaudière-Appalaches, mais aussi et surtout, des « écosystèmes » sociaux qui supportent une espèce bien particulière : l’être humain. Or, il existe une relation pleine d’émotivité qui lie les individus à leur milieu, nous en avons discuté précédemment; elle est fondée sur une perception et elle est solidement ancrée et difficilement modifiable. Or, l’adage ne dit-il pas que la beauté est dans l’œil de celui qui regarde? C’est encore plus vrai avec le paysage! Tous ces aspects des paysages qui sont agréables et appréciés par chacun d’entre nous sont des « aménités ». Des exemples? L’odeur de l’air et de la nature, le calme ou encore l’absence de pesticides, la biodiversité, etc. Ces apports des paysages sont inestimables en ce sens qu’il est très difficile d’en mesurer l’importance en terme financier, mais ils participent néanmoins à la quantification de la valeur économique des paysages.

À l’heure où notre société a plus que jamais besoin de tirer profit des ressources de son territoire, une planification territoriale innovatrice en zone agricole devrait idéalement permettre d’établir des scénarios de développement qui tiennent compte des apports des paysages dans l’économie régionale. Et qui d’autres que les agriculteurs, par leurs travail de tous les jours, pour continuer à maintenir la diversité des paysages agricoles et agroforestiers de notre belle région? Ce serait là, la suite logique à donner aux démarches de connaissances des paysages régionaux et une bonne façon d’assurer la préservation d’un genre de vie qui définit grandement le milieu rural québécois.

Jean-François Guay, Ph.D. Sc. Env.
Conseiller régional en aménagement du territoire

Octobre 2014

Ne pas remplir ce champs

Dernière mise à jour : 2021-12-10

Menu de bas de page

Aller au Portail du gouvernement du Québec
© Gouvernement du Québec, 2024