Les défis d’un territoire multifonctionnel

Le territoire agricole québécois est-il multifonctionnel? Pas tout à fait. L’agriculture et l’agroforesterie y possèdent encore un avantage indiscutable en termes d’occupation de l’espace. Mais comment faire en sorte que le territoire demeure attractif et vitalisé alors que la population de nos campagnes diminue?

En 2007, lors de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, le groupe Solidarité rurale du Québec y allait d’un message sur la multifonctionnalité du territoire agricole : « (…) pour préserver son capital humain, le territoire rural doit nécessairement préserver son attractivité (…). La prédominance de la fonction de production aux dépens de toutes autres (résidentielle, récréative, de conservation) peut fragiliser le territoire en le rendant moins attractif pour la main-d’œuvre et, à plus long terme, pour le renouvellement de ses populations. Une telle spécialisation excessive du territoire exerce une pression sur les ressources et amplifie les tensions (…). Le scénario d’un territoire monofonctionnel peut entraîner une spirale de dévitalisation et accentuer les disparités entre les territoires ».

Contrer la dévitalisation

Cette notion de « spirale de la dévitalisation » met en lumière un fait important : le territoire agricole n’est pas un espace autosuffisant de cultures, mais plutôt un système où les facteurs humains, sociaux, économiques et biophysiques agissent les uns sur les autres.

Mais avant qu'une localité entre dans cette fameuse spirale de dévitalisation, elle doit être drôlement mal en point et son solde migratoire doit s’avérer négatif. Répétons-le : la population est le véritable nerf de la guerre dans l’occupation du territoire. Sa présence est requise et surtout, elle doit se renouveler.

Comment assurer à une région, à une localité ou à un secteur cette masse critique d’individus nécessaire à son dynamisme? Complexe, comme question! Mais on peut invoquer ceci : il faut maintenir un seuil adéquat d’activités économiques ET planifier adéquatement son développement afin de conserver le capital social. Ainsi, une localité doit profiter de tous les potentiels qui s’offrent à elle au sein de son territoire rural : un peu de résidentiel, quelques infrastructures, des entreprises de transformation, des commerces, des services collectifs publics ou encore, des espaces et des équipements de loisirs.

Possible de cohabiter?

Mais lorsque ces fonctions n’existent pas en territoire rural, est-il possible de les implanter? Certainement! Au Québec, ce ne sont pas les projets d’occupation du territoire qui manquent. Toutefois, la cohabitation peut parfois s’avérer difficile. Partager le territoire peut occasionner de la compétition et mener à l’émergence de conflits d’usage. Il faut donc évaluer, autant que possible, les impacts à long terme de ces usages dans une zone légalement réservée aux activités agricoles. Bref, ce n’est pas à prendre à la légère…

Au Québec, les expériences récentes en développement régional mènent à un constat plutôt inquiétant : face aux projets d’occupation du territoire, une bonne proportion de la communauté citoyenne affirme sa contestation de manière systématique, avant même l’avis de projet. C’est souvent une attitude normale, car le premier réflexe d’une personne qui sent son cadre de vie brimé est d’exprimer son opposition. Pour un propriétaire, c'est un comportement humain tout à fait compréhensible.

Mais une fois que le choc initial est passé, que les opinions sont connues et que les enjeux sont clairement établis, comment se fait-il que les positions des deux parties demeurent figées? Deux éléments expliquent ce fait : les perceptions des parties divergent de manière importante et souvent, les promoteurs ne connaissent pas bien les sensibilités citoyennes. 

D’hier à aujourd’hui : le développement du territoire

Il y a 40 ans, le territoire se développait selon la gestion réglementaire de l’espace, avec le souci de maîtriser la croissance urbaine. Cette approche, basée sur des normes et des règlements, pourrait être vue comme étant plus « radicale ». Au tournant des années 80, cette façon de faire a été remplacée par une planification davantage stratégique; on visait ainsi à positionner les métropoles et les régions sur une base économique. Cette approche a suscité de nombreuses critiques concernant le délaissement des impératifs de préservation de l’environnement et de développement durable.

Aujourd’hui, les différents secteurs d’intérêt public (transport, urbanisme, environnement, paysage, etc.) semblent mieux intégrés que dans le passé. Cette formule « participative » est basée sur l’écoute et la communication entre citoyens et promoteurs. En fait, planifier le développement du territoire exige une approche plus souple, plus intégrée et plus évolutive, basée sur la négociation.

Est-ce la recette magique pour assurer le succès de tous les projets d’aménagement territorial? Pas nécessairement. Il y aura toujours des infrastructures qui s’intègrent difficilement dans le milieu rural en raison de leur nature plus intrusive. Ces projets peuvent susciter l’opposition citoyenne; par exemple, nous nous rappelons tous du projet Rabaska qui a soulevé les passions il y a quelques années.

Dans les faits, on ne peut plus planifier ni développer de la même manière qu’il y a 40 ans. Les intérêts, les positions et les enjeux sont de plus en plus polarisés pour diverses raisons. Comme les villes se densifient, les régions deviennent, par endroit, des extensions du milieu urbain, ce qui favorise l’émergence de conflits. Par ailleurs, la population n’a jamais été aussi informée et avisée quant au développement du territoire et de la mise en valeur des ressources environnementales.

En prenant conscience de ces quelques éléments, les promoteurs peuvent mener à terme des projets de développement qui ont une incidence territoriale tout en obtenant l’assentiment des citoyens. On minimise ainsi les risques de conflits tout en faisant preuve de transparence et de respect.

Jean-François Guay, M. Sc.
Conseiller régional en aménagement du territoire

Décembre 2010


Dernière mise à jour : 2021-12-10

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