Sécuriser ses marges, est-ce de la spéculation ?

Le mot bourse provoque souvent un malaise. Pour bien des gens, il rappelle une histoire d’horreur dans laquelle le principal acteur perd sa terre en jouant à la bourse. Depuis plusieurs années, cette perception freine considérablement l’utilisation des outils que l’on trouve sur les marchés à terme. Pourtant, ils peuvent s’avérer très efficaces pour sécuriser la marge de profit d’un producteur de porcs s’ils sont utilisés de façon adéquate. Encore faut-il connaître les outils disponibles et leur fonctionnement pour obtenir de bons résultats. Les prémisses : adopter une philosophie de contrepartiste et connaître le coût de production actuel ou à venir par lot de porcs. En fait, il est essentiel de viser la protection des marges de profit au lieu de chercher à « faire de l’argent » avec la bourse et risquer de sombrer dans la spéculation.

Crédit : Éric Labonté, MAPAQ

Les producteurs peuvent avoir accès à plusieurs outils pour élaborer des stratégies de commercialisation. Pensons à ceux que l’on trouve sur les marchés à terme (contrepartie, options), celui qui est offert par le Service de gestion des risques du marché (SGRM) des Éleveurs de porcs du Québec et ceux qui sont accessibles pour l’achat ou la vente de grains sur le marché local (vente « spot », contrat à livraison différée à prix fermé ou à prix ouvert la base fermée), qui peuvent être des plus utiles. Un autre outil, et non le moindre, permettant d’orchestrer adéquatement une stratégie de commercialisation est la connaissance en temps réel du coût de production. Le soutien d’un professionnel compétent en la matière reste toutefois essentiel pour guider le producteur, car il peut se retrouver rapidement dépassé, particulièrement en période de forte volatilité des marchés. Très souvent, le producteur se perd dans la spéculation et espère « faire de l’argent » sur les marchés à terme ou au comptant. En bref, il oublie que la base de l’autogestion des risques se résume à mettre en place une stratégie de commercialisation, dont l’objectif premier est de protéger une marge nette de production actuelle ou à venir.

Par exemple, un producteur peut, dès l’entrée des porcelets en pouponnière ou en engraissement, sécuriser le prix sur le marché à terme en dollars canadiens d’un lot de porcs par l’entremise du SGRM des Éleveurs de porcs du Québec. En même temps, il se doit d’acheter, sur le marché comptant ou à terme, la totalité des grains nécessaires à leur alimentation. En évaluant bien les autres dépenses qui composent le coût de production, selon la situation des marchés, il sécurise alors une marge nette de production dès le départ et peut ainsi dormir sur ses deux oreilles.

Une fois les porcs livrés à l’abattoir, le travail ne s’arrête pas là : l’heure est maintenant au bilan. Il est indispensable pour le producteur de valider les résultats pour le lot de porcs afin de connaître le succès réel de sa stratégie de commercialisation. Il lui faut compiler les données zootechniques de même que les données technico-économiques, déterminer le poids carcasse des porcs vendus, calculer le gain moyen quotidien et le pourcentage de mortalité. Comme l’alimentation est la dépense la plus importante dans le coût de production d’un porc, il est impératif d’évaluer avec une grande précision la quantité d’aliments consommés par le lot.

Un cas concret

Le 10 juin 2016, un lot de 1175 porcelets entre en engraissement dans le bâtiment numéro 4 de la ferme Lyjean à Sainte-Séraphine. Dès le départ, le calendrier d’abattage est dressé pour le mois de septembre. La réalité frappe! CE moment de vente se situe à l’extérieur de la tendance saisonnière favorable au prix du porc. Il faut se faire à l’idée : il sera difficile d’obtenir une marge nette positive sur ce lot de porcs, contrairement à un lot similaire vendu en été.

Suivant les inventaires de grains à la ferme et des contrats à livraison différée (CLD) transigés avec certains commerçants de grains, le coût d’alimentation prévisionnel est estimé à 94,78 $ par porc de 101 kilogrammes. Le prix coûtant par porcelet, en tenant compte d’un taux de mortalité de 3 %, est de 88 $ et les autres charges variables et fixes sont évaluées à 24,87 $, pour un coût de production prévisionnel de 207,65 $ par porc.

Quant au revenu prévu, un CLD négocié par l’entremise du SGRM des Éleveurs de porcs du Québec et dont la livraison se fera en septembre rapporte 189,23 $ par porc Pour une bête de 101 kg, selon l’indice de classement de la ferme Lyjean, la valeur du CLD est de 191,12 $. La crainte se confirme : la marge nette pour ce lot de porcs sera négative de 16,53 $ par tête. Que faire ? 

a) Contracter un CLD pour 100 % du lot de porcs et protéger une marge négative de 16,53 $ par porc?
b) Protéger une partie seulement de la marge (30 %), ce qui permettrait de saisir une éventuelle reprise du marché?
c) Opter pour le statu quo et espérer une éventuelle reprise du marché?

Avant de prendre une décision, il est important de s’informer sur les tendances du marché. L’analyse fondamentale permet de voir, par exemple, les prévisions de vente à destination de la Chine, les ventes réelles par rapport aux anticipations, les livraisons aux abattoirs ou l’inventaire des truies en productions aux États-Unis. L’analyse technique de ces différents indicateurs montrera la tendance du marché à un moment précis. Pensons aux lignes de tendance à moyen ou à long terme, aux supports, aux résistances, aux moyennes mobiles, etc.

L’heure est à la comparaison. Le tableau suivant permet de constater les résultats des trois types de stratégies de commercialisation après livraison du lot de porcs à l’abattoir. On remarque que la stratégie de contracter un CLD pour la totalité du lot de porc aurait permis de limiter une marge négative à 5,18 $ par porc, comparativement à une marge négative de 16,53 $ calculée au budget prévisionnel. La deuxième option sécuriserait une marge négative de 35,59 $ en moyenne par porc. En choisissant le statu quo, c’est une perte de 50,50 $ par porc qui aurait été engendrée.

Nous tenons à souligner que, dans tous les scénarios, aucune cotisation ni aucune compensation du Programme d’assurance stabilisation des revenus agricoles n’a été prise en considération dans les calculs.

En terminant, sachez qu’il est impératif pour le producteur de porcs de s’entourer de professionnels qui comprennent bien le principe de la protection de marges avant de se lancer dans cette «aventure». Particulièrement, le conseiller en financement de l’institution financière doit s’assurer d’un montage financier adéquat pour son client qui utilisera les outils de commercialisation disponibles sur les marchés à terme. Actuellement, trois conseillers en gestion ont acquis les compétences nécessaires pour appuyer les éleveurs de porcs du Québec dans leur démarche d’autogestion des risques. Nous vous invitons à contacter le Réseau Agriconseils de votre région pour connaître l’offre de service et les conditions nécessaires pour vous prévaloir de ce service. N’oubliez pas, la spéculation ne concorde nullement avec le concept d’autogestion des risques!

Bonne protection de marge!

Charles Vincent

Ferme Lyjean

Sainte-Séraphine

 

Réjean Prince, agroéconomiste

Directeur régional adjoint du Centre-du-Québec

MAPAQ



Date de diffusion : 23 novembre 2017

 

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Dernière mise à jour : 2017-11-23

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